Nous arrivons enfin au dernier match de la saison contre l’OM, et pour couronner cela, nous avons eu l’honneur de pouvoir interviewer Monsieur Christophe Bouchet, ancien président de l’OM, vice-président du Tours FC ainsi qu’ancien maire de la ville tourangelle. Nous pouvons le suivre sur X @ch_bouchet. Et vous allez le voir, il nous répond en toute franchise et honnêteté aux questions que nous lui avons préparées. Et il a des choses très intéressantes à dire, sans langue de bois.
Tout d’abord pouvez-vous vous présenter et nous parler du lien que vous avez avec l’OM?
J’ai été président de l’OM de 2002 à 2004 donc durant deux saisons et demie. J’ai d’ailleurs succédé en partie à Jean-Michel Roussier, le président du HAC. J’ai ensuite travaillé durant 10 ans dans le marketing du foot : sponsoring, stadium consulting, construction de stade, entre autres. Et je suis effectivement resté attaché à l’OM.
Que pensez-vous du 11 olympien de cette année ainsi que du président Pablo Longoria?
Je pense que globalement sur les 2 ou 3 dernières saisons, le turn over me semble beaucoup trop élevé, ce qui a plusieurs conséquences : une immédiate qui est sportive car pour avoir une équipe qui performe, il faut un collectif contrairement à un sport comme le basket-ball. Il faut une vraie continuité dans un effectif pour arriver à obtenir des résultats significatifs. Évidemment on peut l’améliorer ou bien le changer, mais on voit bien que les plus grands clubs, donc ceux qui gagnent comme par exemple Manchester City, ou bien encore Liverpool, sont des clubs qui font durer leurs effectifs, font des choix et s’y tiennent. Ils s’appuient plus sur la valeur collective du groupe que sur les individualités qui sont tout de même haut de gamme.
Je pense qu’à l’OM, depuis 3 ans, il y a un nombre de mouvements qui empêchent de donner une véritable valeur sportive.
Ça empêche aussi de donner une valeur d’identification. Quand je regarde un match de l’OM avec mes fils qui sont aussi fans que moi de Marseille, pourtant je regarde peu les matchs à la télévision car je n’aime pas trop ça, je suis des fois obligé de demander le nom des joueurs. Il n’y a pas d’identité dans le jeu ni dans les joueurs. Si j’ajoute le nombre de mouvements qu’il y a eu au niveau des joueurs ainsi que celui des entraîneurs, c’est un club qui se trouve un peu en panne d’identité sportive.
Que pensez-vous de l’équipe du HAC et de son staff dirigeant?
Je pense qu’ils ont un projet assez clair. Si on veut construire un club dans la durée, il faut savoir où on veut aller. J’ai l’impression que l’actionnaire, le président, le directeur sportif voire l’entraîneur, forment une équipe qui avance selon ses capacités. Cette équipe dirigeante constitue un être vivant. Après selon les résultats, on est bien obligé de faire des ajustements. Toute la communauté dans un club doit faire front commun : ses supporters, ses joueurs, ses techniciens, ses salariés, la population locale qui est des fois différente des supporters et ils doivent former un projet. Et je crois que Jean-Michel Roussier et Mathieu Bodmer ont un projet solide. Ils me donnent l’impression de savoir où ils veulent aller.
Je rebondis sur la façon dont Jean-Michel Roussier se bat dans l’affaire des droits liés à CVC. Il montre qu’il veut s’inscrire dans un projet, ce qui est une bonne chose. Quand on défend son club, son intégrité, son identité, c’est bien et tout le monde le ressent. De l’employé de bureau au supporter le plus dubitatif, et Dieu sait qu’ils le sont partout mais heureusement d’ailleurs, on sent qu’il y a un collectif au niveau de la direction.
Vous avez été president de l’OM entre 2002 et 2004. Quel est le joueur que vous considérez à cette époque comme votre meilleure recrue?
Ce n’est pas très difficile. Nous avions eu à l’époque une recrue et une signature d’un enfant du club. La meilleure recrue était Didier Drogba à de nombreux points de vue, et la meilleure signature d’un espoir était Samir Nasri, car il était au centre de formation. A ce moment-là, on avait signé trois jeunes, dont Samir. On a fait aussi joué Mathieu Flamini qu’on n’a pas pu signer ce qui est bien dommage.
Aussi il y a des joueurs qui ont marqué les esprits. J’ai eu beaucoup de respect et non d’affection, car je ne me mélangeais pas avec les joueurs et je pense qu’un président n’a pas à le faire, pour Brahim Hemdani qui a un peu disparu de la médiatisation. Il était un joueur formidable qui nous rendait des services extraordinaires. Il était capable de jouer à la moitié des postes dans une équipe : arrière central, récupérateur, arrière latéral gauche et droit. Ce joueur avait une capacité à répondre au collectif. J’aimais beaucoup cette façon de répondre présent. Il était “habité” par le collectif, contrairement à d’autres joueurs qui ne veulent pas changer de poste, ou bien qui font la gueule ou que sais-je encore. À chaque poste il faisait un bon match, cochait toujours la case et remplissait toujours la fonction à laquelle il était assigné. Des joueurs sont parfois moins connus mais tiennent l’équipe sur 2 ou 3 saisons et c’est extrêmement précieux.
À l’inverse, avez-vous effectué un transfert qui n’a pas fonctionné?
Oui, celui de Philippe Christanval. C’était un vrai bon joueur provenant du FC Barcelone où il ne jouait plus trop. On l’a recruté et ça ne s’est pas bien passé. Il était dans un état physique complexe avec beaucoup plus de pépins qu’on ne l’avait imaginés. Ça ne simplifie pas les choses et ça créé beaucoup de frustration de la part du joueur et du club. France Football en avait fait sa une car tout le monde pensait qu’il allait devenir le libéro de l’OM et qu’il allait revenir en équipe de France. Au final rien n’a marché.
Allez, par gourmandise, je vous en donne un deuxième qui n’a pas marché, c’est le transfert de Bixente Lizarazu. A l’époque, José Anigo qui était l’entraîneur, avait décidé de jouer dans un format qui ne lui convenait pas. Il ne se sont pas entendus, ce qui arrive c’est la loi du sport. De l’autre côté on avait des joueurs comme Didier Drogba, Habib Beye, Camel Meriem qui se sont épanouis à l’OM.
Pour rebondir dessus, Habib Beye serait-il un bon entraîneur pour Marseille l’année prochaine?
Ce qui manque à l’OM avant de recruter un entraîneur, c’est de savoir où ils veulent aller. Or, contrairement au HAC, ce n’est pas très clair. Je ne vois pas très bien leur marque de fabrique. Si vous recrutez Habib Beye ou un autre c’est pour faire quoi? Pour l’instant, je n’ai pas très bien compris ce qu’ils avaient l’intention de faire. Comment vont-ils se positionner dans le championnat? Veulent-ils le gagner? Veulent-ils être à la manière de Lille ou Monaco un outsider et non une victime consentante du PSG? Veulent-ils tout baser sur la post-formation à l’image de l’AS Monaco? Veulent-ils favoriser le centre de formation? Tout ça je ne le vois pas chez l’OM. Et ça m’ennuie à vrai dire.
Habib Beye ou non ce n’est pas lui la réponse. Il peut l’être dans le cadre de quelque-chose de plus large. C’est comme en politique, il y a à la fois le cadre et à la fois les hommes. Et pour moi, le cadre à l’OM et ses contours sont assez flous.
Parlons maintenant du deal CVC qui octroie 13% des revenus de la ligue à vie, qui fait tant couler d’encre. Vous dites que c’est une très mauvaise chose pour le football français. Que pensez-vous de la gestion de Vincent Labrune?
Il y a une mission parlementaire en route qui va éclairer beaucoup de monde, devant laquelle Jean-Michel Roussier est déjà passé. La gestion de Vincent Labrune, je la dirais… C’est un garçon intelligent, très rapide, mais je ne pense pas qu’il ait un grand projet pour le football français. Il a un surtout un projet personnel et ça fait toute la difference. Il a mis Médiapro dehors ce qui était une énorme bêtise, il a signé un deal avec le fonds d’investissement CVC et il savait ce qu’il faisait. Chacun des présidents devra rapidement apprécier son travail puisque les droits vont tomber. Il a promis dans le cadre du deal CVC 1 milliard 200 millions pour cette saison et on va voir ce que ça donne…
La ligue est-elle obligée de négocier les droits télé avec Beinsports, propriété du Qatar et du PSG, afin de sauver ce qui peut l’être?
Je vous le répète : Vincent Labrune n’en a rien à faire du football français. C’est mon point de vue, je vous le donne.
On se met dans le droit fil de ce qu’est le football français depuis 20 ans, c’est à dire qu’on ne réfléchit pas. Comme à la manière de l’OM, on ne sait pas où on va. On avance dans la voiture, on donne des coups d’accélérateur, des coups de volant à gauche, à droite, au milieu mais en fait on ne connaît pas l’itinéraire, on ne sait pas où on va. On avance sans lumière, ni intelligence.
Il y a une anomalie dans le foot français sur laquelle tout le monde ferme les yeux, mais c’est une réalité, on a une distorsion de la concurrence qui est invraisemblable avec le Qatar. Ce qui fait que le championnat de France n’a que très peu de sens aux yeux des investisseurs. Les gens se disent : “PSG, Qatar.. C’est ça le championnat de France? Bah oui c’est ça…”. Ce n’est pas glorieux. Pour moi le Qatar est une anomalie. C’est dommage mais c’est comme ça. Voir passer à la fois le club numéro un, le PSG, qui est déjà passé sous pavillon Qatari , les droits télévisés et sachant que leur répartition a été changée et sont beaucoup plus favorables au club de la capitale, ça interroge beaucoup, ça c’est sûr. Tout le monde laisse faire, je ne sais pas pourquoi, il y a un truc qui m’échappe… C’est vraiment dommageable.
Les gens disent : “ah bah il n’y a pas suffisamment d’argent pour le foot français”. Mais qui veux-tu pour aller mettre du pognon sur un championnat dont on connaît le vainqueur? Après il y a des pays où il y a souvent le même vainqueur comme en Allemagne où le Bayern gagne sauf cette année avec Leverkusen qui l’a remporté. C’est quand même invraisemblable… Et l’OM se laisse faire dans la répartition des droits avec CVC, je ne sais pas pourquoi, c’est un mystère. Est-ce qu’il y a des intérêts cachés? Je n’en sais rien et je n’espère pas mais c’est quand même très troublant.
Un rachat de l’OM par un état comme l’Arabie saoudite serait-elle la meilleure solution?
Ces rumeurs ça fait quoi, 4 ou 5 ans qu’elles existent? Je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu à un moment une consistance à ces rumeurs. L’Arabie Saoudite a racheté Newcastle et ce n’est pas couronné de succès pour l’instant. Mais s’ils savent être patients et intelligents comme les Emiratis avec Manchester City dont la gestion a été remarquable… Ils ont compris que la condition nécessaire dans le football est la stabilité. Peu de clubs l’ont compris dans le monde : le Real, le Bayern, même si depuis un an ça paraît très bizarre et on voit que les résultats sportifs s’effondrent. Naïvement, même si vous n’allez pas complètement me croire, je préfèrerais une formule de type Barcelone ou Madrid pour Marseille où il y a un réel potentiel, une formule qui a différents noms selon les pays mais on va le définir par “Socios”, ce qui peut marcher à l’OM.
Vous qui êtes très attaché à la ville de Tours dont vous avez été maire et aussi le vice-président du club, que pensez-vous de la possible liquidation du club dont l’appel est attendu le 18 juin?
Je pense que la logique est respectée. Quand on fait n’importe quoi, il se passe n’importe quoi. L’actionnaire, que le maire de l’époque est allé chercher, a fait n’importe quoi durant des années. Ça a abouti à la possible liquidation du club. C’est dramatique pour la ville, ça donne encore une image du foot hasardeuse, pénible, etc… Je trouve que c’est moche. L’histoire du Tours Football Club, c’est celle de petits calculs politiciens qui ont abouti à un actionnaire qui n’était pas du territoire, qui est corse et à Tours, on n’a jamais bien compris pourquoi. Un homme qui n’a jamais trouvé un intérêt, qui ne s’est jamais familiarisé avec le territoire qui ne l’a pas non plus aidé, il faut dire les choses comme elles sont. Il renvoyait une image tellement négative que ce n’était pas tres agréable pour le territoire. Il a fait n’importe quoi, a recruté des joueurs dans tous les sens. Comme je le disais en début d’interview, quand vous faites tourner en permanence un effectif, vous ne savez plus très bien où vous habitez et c’est ce qui s’est passé là aussi. Je pense qu’on a battu un record, on est descendu de 5 divisions en 4 ans. Record à battre. C’est un épisode d’une immense tristesse. Avec d’autres comme Frédéric Sebag, on avait réussi à bâtir un club qui était arrivé aux portes de la Ligue 1 et qui bientôt, n’existera plus.
Quels joueurs du Havre AC recruteriez-vous pour Marseille si vous en étiez encore le président?
Je suis incapable de vous dire. Je ne suis pas un technicien et je me suis rarement aventuré dans ce domaine-là. Ce n’est pas pour me défiler à la question mais je pense que chacun doit être à sa place. Et pour une autre raison aussi, je n’ai pas vu le HAC jouer cette saison. C’est un problème de technicien et ce n’est donc pas le mien. Je connais bien le HAC pour avoir participé à l’époque où j’étais chez SportFive avec Jean-Pierre Louvel, à la construction du stade Océane, son dimensionnement. C’était dans une stratégie globale de club qui s’est d’ailleurs révélée la bonne car aujourd’hui c’est un intérêt indéniable pour le club d’avoir un stade bien configuré et intelligent. Ça, c’est mon savoir-faire. Ce qui m’intéresse au moment de recruter un joueur, c’est s’il s’intègre bien dans ce qui était décidé.
Pensez-vous que le HAC qui sera pour ainsi dire libéré de la mission maintien peut mettre un terme à l’ambition européenne de l’OM qui doit absolument l’emporter et espérer des faux pas de Lens et Lyon?
Oui, parce qu’aujourd’hui et on ne va pas le cacher, l’OM n’est pas une équipe forte. A priori, le HAC va jouer sans pression donc libéré, avec l’envie d’offrir à ses supporters un vrai final. D’un côté, il y a un enjeu avec une équipe qui n’est pas extrêmement forte et de l’autre, un très faible enjeu et le but de finir la saison en bons termes. Donc oui, le péril est grand pour l’OM.
Un pronostic concernant le match HAC/OM?
Je dirais 2-1 pour Le Havre.
Merci beaucoup Monsieur Christophe Bouchet pour cette interview!
